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Imprimante 3D et désindustrialisation

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badge Tiphaine Monange
Tiphaine Monange
DESIGNER - UX RESEARCHER
nci studio

Dessin de Gerd Arntz pour isotype modifié pour l'illustration par NCI Studio.

Notre travail de designer se concentre sur deux points essentiels : les objets et les pratiques, qui invitent le design dans la vie quotidienne. Les pratiques de production en particulier ont énormément évolué en l’espace de quarante ans, invitant les principes de l’industrie et ses rythmes dans la vie quotidienne. Du monde du travail à la maison, en l’espace d’un demi-siècle, tous nos milieux ont changé de nature. L’industriel, ses rythmes et ses contraintes, loin de disparaître, a modifié en profondeur nos usages. En explorant une pratique métier, une pratique industrielle et une pratique domestique, nous cherchons à situer, dans une série de trois articles, la place de l’humain dans les pratiques hybrides de cette troisième puis quatrième révolution industrielle.

A ses débuts, l’impression 3D était utilisée comme outil de prototypage rapide et de visualisation de formes, en mono matériau/avec des objets à petite échelle. Elle s’inscrivait dans un processus de création industrielle. Désormais, l’imprimante 3D amène l’industrie dans les territoires domestiques : il est possible de concevoir, dessiner ou à tout le moins imprimer pièces manquantes et réalisations chez soi. Voire un chez soi : le 3M FutureLab propose une capsule en sable équipée en impression 3D de tous ses composants fonctionnels et techniques, François Brument et Sonia Laugier expérimentent un habitat paramétré et imprimé à partir d’un programme informatique. Au-delà de ces gestes de design, la Chine produit déjà des murs de maisons préfabriquées en béton fibre au rythme de dix par 24h. La machine à habiter, produite à la chaîne et à la machine ! Le préfabriqué n’en est pas à son coup d’essai, ayant marqué l’après-guerre, une autre époque de mal-logement, à travers notamment les réalisations de Jean Prouvé. Peut-on imaginer un préfabriqué isolé selon les normes d’isolation adaptées aux chaleurs caniculaires de l’été 2022 ?

Dans le même temps, la pénurie récente de composants et les questions légales de garantie et de droit à la réparation jettent une nouvelle lumière sur l’enjeu industriel. Les machines qui meublent et animent la maison sont désormais difficiles d’accès : il n’est souvent plus possible de les ouvrir sans annuler la garantie. L’imprimante 3D incite cependant à reprendre - littéralement ! - en main les appareils et le processus de production, en essayant de contourner les délais et les coûts de plus en plus élevés de la chaîne logistique de transport. La machine et la main créent à cette occasion une nouvelle alliance qui lie travail manuel et intellectuel : pour réparer un objet technique au lieu de le jeter en bloc, il faut se risquer à l’ouvrir et à se sentir perdu, à énumérer les composants et analyser la panne, trouver le bon schéma de réparation, télécharger et imprimer la bonne pièce, la replacer correctement. Et assumer, au fil de ce processus, les erreurs et les temps d’attente possibles. Une autre forme de temps humain ramené au centre de la production. L’artisanat n’est pas nécessairement accessible à tous, mais si la machine s’en fait le relais, la main peut peu à peu regagner une forme d’intelligence.

Dans les années 70, dans l’idée de décentraliser l’activité de production des composants électroniques dans les régions françaises, plusieurs pionniers avaient tenté d’installer dans les territoires ruraux, montagnards, isolés des ateliers de microtechnique. Le but avoué est de permettre de développer les régions rurales et d’y retenir les travailleurs contraints de les quitter, dans une volonté qui frappe comme très actuelle et pourrait porter en germe de nouvelles promesses pour l’avenir : ramener sur place la production ne pourrait-il pas réduire coûts environnementaux et délais d’attente ? Dans le mouvement de délocalisation global des années 80, l’initiative fit long feu ; comment, cependant, ne pas y repenser en assistant au mouvement des makers, qui tentent de ramener l’industrie dans les territoires ruraux ? L’imprimante 3D est-elle l’avenir de l’industrie ?

Dans la réalité des faits, se débattent toujours notion de coût et de rentabilité écologique : nous ne sommes pas encore parvenus à instaurer un virage qui permette au citoyen moyen de supporter les coûts d’une vie sevrée des productions industrielles et il est probable que cela soit impossible. Quand Stefano Corsi évoque dans son ouvrage Homo Confort la nécessité du remplacement des grandes entreprises par des ateliers artisanaux, pense-t-il uniquement aux biens de consommation courants genre assiettes en céramique ou aussi à l'aspect B2B ( perfusions, seringues...) ? Il déclare en effet qu’“un virage environnemental qui ne mène pas à l'effondrement des États (remplacés par des collectivités locales autonomes) et des grandes entreprises (remplacées par des ateliers artisanaux) n'aboutira selon moi qu'à une rhétorique verte inutile.” Il semble pourtant que les externalités négatives de l’industrie viennent compliquer ce calcul. L’industrie et ses capacités d’échelle ont été lourdement sollicitées durant les années Covid et continuent à l’être (masques, vaccins, vélos…), preuve que le progrès social n’en est pas totalement détaché. Dans quelle mesure l’artisanat, souvent corrélé à la notion de rareté, permet-il la diffusion des objets nécessaires à une transition écologique forte ? La limitation des objets disponibles liée à la crise de la production peut accélérer l’ère de la réparation, pour peu que l’énergie et les talents nécessaires soient disponibles localement. C’est l’hypothèse du projet de repair café La Ventil’ qu’NCI Studio porte avec le lycée professionnel de Givors en Rhône-Alpes Auvergne !